(Cet article est extrait de « Histoire et mémoires des immigrations en Région Centre », rapport coordonné par Sylvie Aprile, Pierre Billion, Hélène Bertheleu. Acsé, Odris, Université François Rabelais, mai 2008)

La région Centre ne fait pas partie des régions les plus dotées en foyers de travailleurs migrants, qui sont plutôt implantés en Ile-de-France, dans la région lyonnaise ou encore la région PACA. Néanmoins, le Centre comprend tout de même vingt foyers, qui représente une  capacité d’accueil globale d’environ 2000 places. Aussi, ce parc de logement spécifiquement dédié aux immigrés n’est pas négligeable. Un des éléments notables reste l’hétérogénéité des situations locales, même si des tendances communes apparaissent, et notamment celle des liens très forts entre implantation des foyers et industries locales. Par ailleurs, les foyers de travailleurs migrants de la région révèlent aujourd’hui des évolutions importantes, en particulier en ce qui concerne la population logée. Comme dans d’autres régions françaises, la population des foyers a vieilli et s’est diversifiée. Le bâti a vieilli lui aussi, ne suivant pas toujours l’évolution des normes d’habitat et de confort. Ce faisant, le rôle des foyers dans l’ensemble du secteur du logement a évolué et leur devenir est en question.

De fortes disparités entre départements

La région comptait en 2008  vingt établissements, gérés par trois organismes différents :

– ADOMA (ancienne Sonacotra, Société Nationale de Construction de Logements pour les Travailleurs) gère neuf établissements,

– l’AFTAM (Association pour la formation des travailleurs africains et malgaches) en gère trois,

– le COATEL (Comité d’accueil des travailleurs en Eure-et-Loir) en gère huit.

La répartition territoriale des foyers de travailleurs migrants en région Centre est très inégale selon les départements. Le département comptant le plus grand nombre d’établissements est l’Eure-et-Loir. Hormis le foyer Adoma de Dreux, les huit autres foyers de ce département ont la particularité d’être gérés par un organisme local, le COATEL. Ils sont principalement implantés dans les agglomérations drouaise et chartraine, excepté le foyer de Châteaudun. Outre les besoins en main d’œuvre des industries du département, l’existence d’un tel organisme gestionnaire local a favorisé l’implantation d’un nombre important de foyers en Eure-et-Loir.

Le Loiret compte cinq foyers, dont trois implantés dans l’agglomération orléanaise. L’implantation des deux autres foyers du Loiret est liée aux besoins locaux en main d’œuvre au cours des décennies précédentes : ceux de l’usine Hutchinson à Châlette-sur-Loing, ceux de la centrale nucléaire à Gien (notamment pour sa construction).

Les départements du Cher, de l’Indre-et-Loire et de l’Indre comptent un nombre moins important de foyers : respectivement trois, deux et un. Ces foyers sont situés dans les principales villes des départements.

Il n’existe aucun foyer dans le Loir-et-Cher.

Les foyers de la région Centre présentent en outre une grande diversité, et se différencient en premier lieu par leurs capacités d’accueil, c’est-à-dire le nombre de lits ou de logements qu’ils offrent : de 18 pour le plus petit (Courville-sur-Eure) à 346 pour le plus grand (Saint Jean Le Blanc). La typologie des logements proposés est également variable : chambres à lits multiples, chambres individuelles organisées en unités de vie (c’est-à-dire avec cuisine et sanitaires communs), studios ou encore appartements de type T1. Plusieurs types de logements différents coexistent parfois au sein d’un même foyer.

 

Cartographie des foyers recensés en région Centre

©H.Béguin   (en ligne prochainement)

 

Des foyers adossés aux industries locales

La plupart des foyers de la région Centre, tous gestionnaires confondus, ont été implantés au début des années 1970, excepté le grand foyer de Bourges mis en service en 1968. D’après les gestionnaires rencontrés, l’histoire de l’immigration et des foyers en région Centre se démarque peu du contexte historique national. S’ils ne connaissent pas précisément l’origine locale de la création des foyers, les responsables d’établissements savent à quelles entreprises ou industries locales est liée l’implantation de ces foyers (Hutchinson à Châlette-sur-Loing, la Société française de matériel agricole et industriel rachetée par la société américaine CASE à Vierzon par exemple).

L’histoire de ces foyers est en effet indissociable de celle des industries locales. C’est particulièrement vrai dans le cas des foyers COATEL, association que les notables industriels locaux avaient participé à fonder en 1970 (Monsieur Hébert des Moulins Hébert, Monsieur Gilbert Barthélémy, secrétaire général de la Chambre de la métallurgie notamment). Pour preuve, jusqu’au milieu des années 1990, les entreprises versaient directement, au titre de leur participation à l’effort de construction, des subventions annuelles au COATEL en l’échange de logements réservés aux salariés de ces entreprises. Le directeur général du COATEL relie ainsi chaque foyer à une usine ou entreprise particulière :

– l’implantation du foyer de Mainvilliers est liée à la fonderie SAM ;

– celle du foyer de Courville est liée à l’usine METALOR et aux besoins du secteur maraîcher dans le secteur ;

– celle des foyers de Lucé est liée à l’usine Philips Éclairage ;

– celle du foyer de Châteaudun est liée à l’usine Hutchinson ;

– celle du foyer de Saint Rémy à l’usine SACRED (qui employait et emploie toujours de nombreux Maliens) et aux laboratoires Abotte.

Par ailleurs, il faut noter que le COATEL a la particularité d’avoir précisé dans ses statuts, depuis son origine, sa vocation à loger les travailleurs immigrés mais aussi les « migrants de l’intérieur », c’est-à-dire les Français en situation de mobilité professionnelle.

Accompagner le vieillissement des Chibanis et  valoriser leur mémoire

Les anciens travailleurs migrants originaires d’Algérie et du Maroc, aujourd’hui souvent retraités ou à l’aube du passage à la retraite, constituent une part importante de la population résidente. Il est difficile d’évaluer la part exacte qu’ils représentent sur le total de la population occupant les foyers de la région, mais plusieurs foyers accueillent tout particulièrement ces résidents : le foyer Aftam de Saint-Jean-le-Blanc, les deux foyers Adoma de Bourges, Gien, Joué-les-Tours et Dreux, ainsi que, dans une moindre mesure, les foyers Coatel de Lucé, Saint-Rémy-sur-Avre et Châteaudun. Parmi cette population dechibanis, considérés comme le « public traditionnel » des foyers par les acteurs gestionnaires, nombreux sont ceux qui effectuent des allers-retours réguliers entre le foyer et leur pays d’origine. Il est cependant difficile de recueillir des données précises sur les caractéristiques et les pratiques de cette population car les organismes gestionnaires des foyers n’en disposent pas nécessairement, et que cette population est mobile.

Le passage à la retraite et le vieillissement ces immigrés posent la question de l’adaptation du bâti des foyers mais aussi de l’accès aux droits (droits à la retraite, au minimum vieillesse, aux services d’aide à domicile, au portage de repas…). Aussi, des associations sont investies sur ces questions dans les foyers. C’est le cas notamment de l’Adamif (Association départementale pour l’accompagnement des migrants et de leur famille) dans le Loiret et d’Accueil et Promotion dans le Cher. Ces deux associations interviennent dans les foyers de leurs départements respectifs pour y tenir des permanences régulières d’aide à l’accès au droit. Toutes deux ont également initié des enquêtes auprès des résidents des foyers pour évaluer la situation de ces personnes au regard de l’accès aux soins, de l’environnement médical, de l’appréciation subjective de leur santé mais aussi de l’accès aux droits, de la situation administrative ou encore des souhaits exprimés en matière de logement. Parmi les résultats communs de ces deux études, on peut relever la part importante de la population âgée de plus de 60 ans et la faible part de personnes disposant d’une couverture médicale complémentaire. L’étude menée par l’Adamif a également mis en avant une proportion non négligeable de personnes ayant fait des démarches pour obtenir un logement social (presque 25% de la population interrogée, soit 467 résidents), infirmant l’idée reçue selon laquelle ces Chibanis souhaitent vieillir entre le foyer et le pays d’origine.

Outre ces enquêtes, des initiatives ont également été entreprises par l’Adamif et Accueil et Promotion dans le but de favoriser l’inscription du vieillissement des immigrés en foyers sur l’agenda politique local, ou tout au moins, une réflexion des acteurs locaux sur ce problème. L’Adamif a en effet initié la création d’un groupe de réflexion multipartenarial sur le vieillissement des migrants, réunissant tous les acteurs locaux concernés (travailleurs sociaux des CPAM, CRAM, Conseil Général, services d’aide à domicile, organismes gestionnaires des foyers…) autour de trois thématiques : évaluation de l’autonomie des personnes, accès au logement autonome, accès au droit. De même, Accueil et Promotion souhaitait organiser en 2007 une journée de réflexion sur le vieillissement des résidents des foyers.

Enfin, la question de la mémoire et de sa transmission sont également des thèmes sur lesquels  ces deux associations ont souhaité s’investir. Le recueil de témoignages et récits de parcours individuels par l’Adamif, avec le concours d’un écrivain (Laurent Boron), a abouti à la publication d’un livre : Comme ici, comme là-bas (2003). Un film intitulé Un jour je repartirai et réalisé par Chantal Richard a également été produit, revenant sur la vie des résidents du foyer de Saint Jean Le Blanc, sur l’illusion du retour au pays, les longues années passées en France et les allers-retours. Quant à l’association Accueil et Promotion, elle a imaginé le projet de réaliser un travail de mémoire auprès des résidents du foyer de Bourges, dont certains résidents ont même travaillé à la construction, d’origine immigrée ou non. Le projet consistant au recueil, par des jeunes, d’origine immigrée ou non, de récits de vie des résidents du foyer, il vise à la fois le développement de liens intergénérationnels et la valorisation du parcours des résidents du foyer.

Diversification de la population et passage en « résidences sociales »

Les foyers de la région Centre ne logent pas uniquement des personnes originaires des pays du Maghreb. En effet, les vagues migratoires successives ont entraîné l’arrivée de migrants originaires d’Afrique sub-saharienne (Maliens, Sénégalais, Mauritaniens). Ceux-ci sont présents dans certains foyers (le foyer Adoma de Vierzon, les foyers Aftam de Saint Jean-le-Blanc et de Châlette-sur-Loing, le foyer COATEL de Saint Rémy-sur-Avre) et dans de faibles proportions par rapport à l’ensemble des résidents. C’est surtout l’arrivée de résidents non immigrés et de demandeurs d’asile qui constitue l’évolution la plus remarquable de la population logée dans les foyers de la région. Le Centre fait partie des régions dans lesquelles les besoins des industries en main d’œuvre peu qualifiée ont diminué avec la récession économique et la désindustrialisation depuis les années 1980. Par conséquent, les foyers, dont on a montré le lien fort avec les industries locales, ont été affectés par cette évolution : certains ont connu une désaffection d’autant plus grande qu’ils correspondaient de moins en moins aux normes de confort, et donc une période de sous-occupation. Cette vacance a favorisé, selon une logique  de gestion, l’ouverture des foyers à de nouvelles populations ou la restructuration du bâti pour diminuer le nombre de places disponibles et améliorer l’attractivité des logements offerts (c’est le cas des foyers COATEL notamment).

Une part non négligeable de la population résidente est donc désormais constituée de personnes d’origine française plus précaire, fragilisée sur le plan économique et ne parvenant pas à se loger ailleurs, ou encore des personnes ayant besoin d’un logement bon marché de façon temporaire. Ces résidents s’inscrivent dans ce que les gestionnaires nomment les « nouveaux publics », par opposition au « public traditionnel » que constituent les travailleurs migrants immigrés, retraités ou actifs. Les foyers COATEL accueillent principalement ces « nouveaux publics », et particulièrement des personnes en situation de mobilité professionnelle qui disposent de revenus peu élevés : les étrangers  ne représentent que 27% de l’ensemble des résidents des foyers gérés par cet organisme. Ces « nouveaux publics » sont également très présent au sein du foyer AFTAM de Châteauroux ainsi que des foyers SONACOTRA de Bourges (le plus petit des 2), de Vierzon et de Tours.

Dans certains foyers, la vacance a pu être comblée par l’implantation de CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) au sein des foyers. C’est par exemple le cas à Saint Jean le Blanc, où le foyer compte désormais un CADA de 50 places en son sein, ou encore à Gien. Enfin, il existe des spécificités propres à certains foyers : c’est le cas du foyer Sonacotra de Dreux, qui compte aujourd’hui 62 anciens combattants marocains, primo-arrivants entrés dans le foyer depuis 1998. Ici, outre la démarche volontaire du responsable du foyer de l’époque, lui-même d’origine marocaine d’accueillir sans le foyer des anciens combattants marocains, le fait que des places dans le foyer étaient disponibles a permis l’arrivée de ces personnes prises en charge dans le dispositif spécifique mis en place pour les anciens combattants marocains à Bordeaux (DAPA : Dispositif d’accueil des primo-arrivants).

Ce faisant, les le rôle des foyers a de fait évolué. Logements pour les travailleurs immigrés à l’origine, les foyers sont devenus à la fois maisons de retraite pour vieux immigrés, logements par défaut pour des personnes en situation précaire, lieux hébergement pour des demandeurs d’asile… Mais ces évolutions de fait s’accompagnent parallèlement d’évolutions réglementaires : depuis 1994, les foyers de travailleurs migrants sont tous amenés à être reconvertis en résidences sociales, forme de logement supposé temporaire et destiné aux personnes défavorisées dans leur ensemble. Des services d’accompagnement social visant à favoriser l’insertion des résidents sont amenés à être proposés dans ces résidences. Par ailleurs, la restructuration des foyers ne répondant pas aux normes d’habitat et de confort actuelles (chambres à lits multiples, chambre de taille particulièrement réduite…) est engagée à travers le Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, mis en place en 1997, et qui concerne plusieurs foyers de la région, les foyer de Saint Jean le Blanc et de Châlette-sur-Loing en particulier.

Le poids de l’histoire : l’Ile de Corse à Saint-Jean-le-Blanc

L’Ile de Corse, c’est ainsi qu’est dénommé le site sur lequel est implanté le foyer de travailleurs migrants à Saint Jean Le Blanc. 396 lits répartis dans 99 chambres de 17m² comprenant chacune 4 lits et organisées en 18 unités de vie (5 ou 6 chambres regroupées autour de cuisines et sanitaires communs), l’organisation du bâtiment n’a guère changé depuis 1972. Ne répondant pas aux normes d’habitabilité actuelles, le foyer est inscrit parmi les sites prioritaires pour le Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, et, depuis 10 ans, un projet de restructuration est à l’ordre du jour. Le projet est difficile à monter, les blocages sont de diverses natures, mais le programme est désormais acté : le foyer actuel sera démoli, et à sa place seront érigés 220 logements individuels autonomes d’environ 15m² chacun. Pou compenser la perte en capacités d’accueil, un autre bâtiment sera construit dans l’agglomération orléanaise.

Tout proche des bords de Loire, l’établissement est néanmoins isolé du reste de la ville : absence de commerces à proximité, faible desserte en transports commun, éloignement des premières habitations… Et l’histoire du site sur lequel a été construit le foyer n’est sans doute pas pour rien dans cet isolement. En effet, lorsqu’il est construit en 1972, il prend la place de baraquements provisoires qui avaient été installés sur le terrain au début des années 1950. Au sujet de ces baraquement et de leur implantation sur la parcelle, les archives du Loiret (Série S, 1048 W 40732) disposent de documents tout à fait intéressants, notamment un ensemble de correspondances entre le maire d’Orléans, le maire de Saint-Jean-Le-Blanc, le préfet du Loiret et les services du Ministère de la reconstruction et du logement de l’époque. Ces documents montrent que la parcelle sur laquelle se trouve le foyer est située sur la commune de Saint Jean le Blanc, mais qu’elle avait été achetée dans les années 1920 par la commune d’Orléans pour lui servir de canche, autrement dit de dépôt d’ordures.

 

Par ailleurs, ces correspondances témoignent des tractations qui ont eu lieu autour de 1955-1956 entre la ville d’Orléans, la ville de Saint Jean le Blanc et les services de l’Etat suite à la volonté du marie d’Orléans de l’époque d’implanter sur ce site des baraquements provisoires pour loger des populations sans abri ou habitant des logements insalubres. Les oppositions sont alors vives au sein du conseil municipal et de la population de Saint-Jean-Le-Blanc contre ce projet : qui financera les installations nécessaires pour l’accès à l’eau et à l’électricité des habitants ainsi que l’évacuation des eaux usées ? Qui prendra en charge la scolarité des enfants ? Qui assurera la surveillance de ce « nouveau quartier » ? « Cette population supplémentaire en matière d’AMG [assistance médical gratuite] restera-t-elle bien à la charge de la ville d’Orléans, puisque résidants sur un terrain lui appartenant ? » (26 octobre 1955, Mairie de SJLB, extrait du registre des délibérations du Conseil municipal). Telles étaient les objections soulevées par le conseil municipal de Saint Jean Le Blanc.

Malgré ces réticences, la ville d’Orléans, arguant de la très sévère crise du logement et de l’urgence de la situation qui touche la commune, obtient alors l’autorisation des services de l’Etat, et propose à la ville de Saint Jean Le Blanc des compensations suffisantes pour implanter les baraquements. Il semble que les baraquements en question soient restés sur le site jusqu’à la construction du foyer en 1972, mais ceci resterait à vérifier. L’histoire de ce site destiné à accueillir du « logement provisoire » depuis 50 ans apparaît finalement assez emblématique de la place occupée par les foyers dans les villes sur lesquelles ils ont été implantés. Un héritage parfois lourd à porter pour les acteurs en charge du projet de restructuration de l’établissement, dont l’intégration du foyer dans la ville et les politiques locales est un des enjeux.

Les foyers, à la croisée des parcours individuels et familiaux

Si les foyers sont peuplés essentiellement d’hommes seuls, quelques entretiens avec des résidents, anciens résidents ou proches de résidents suffisent pour révéler que le foyer est aussi une affaire de famille et d’entourage. Etape avant un regroupement familial, lieu de rencontre entre amis ou proches, point de retour après un échec de regroupement familial ou après le départ de l’appartement des enfants, le foyer joue des rôles différents dans le parcours de chacun, et cache des trajectoires individuelles et familiales plus complexes.

Quelques extraits d’entretiens réalisés début 2007 dans deux foyers de la région viennent en témoigner. Les personnes rencontrées font état de leurs faibles ressources et de conditions de logements jugées difficiles à cause de l’étroitesse des lieux et de la promiscuité. Certains disent qu’il « sont dans le foyer » mais ne se définissent pas comme résident ou locataire d’une chambre. Pour ceux là, la chambre au foyer fait surtout office de boite à lettres. Vivre dans le foyer leur permet d’avoir une résidence en France et une adresse afin de pouvoir justifier de leur domiciliation pour l’octroi de ressources (retraite, minimum vieillesse ou RMI). Simple domiciliation postale ? Certains payent en effet l’équivalent d’un loyer afin simplement de voir maintenir leurs droits. « Le foyer, c’est important. Sans le foyer, j’ai plus rien, j’ai plus de pension. Quand je vais au Maroc, j’appelle le directeur du foyer, je lui demande s’il y a des lettres pour moi » (Mr A., 86 ans, retraité et ancien combattant).

Si le sociologue A. Sayad, dans ces travaux, souligna souvent la dimension provisoire qui collait au statut de travailleur immigré, on voit ici que ce statut provisoire semble être aussi celui des retraités. Leurs droits semblent liés à une adresse et sont remis en cause dès que les courriers ne parviennent pas à leur destinataire, tenu de rester en France pour attendre son courrier. L’absence à une convocation ou la non réponse à un courrier reçu et les droits de ces vieux immigrés s’envolent puisqu’ils doivent justifier de leur présence pour « débloquer » leurs droits. Une absence prolongée, pour le décès d’un proche, provoque parfois une cascade de tracas administratifs. Ce vieil homme a perdu ainsi six mois de droits et le bénéfice de sa carte de résident. Son titre de séjour est à l’étude à la préfecture, pour vérifier son droit de séjour : « Ma femme a été malade au Maroc, alors je suis rentré pour la voir. Je suis resté huit mois à côté d’elle. Elle est morte… que Dieu ait sont âme… Je savais que j’aurai des soucis si je restais au Maroc, mais je suis quand même resté. Il le fallait…Maintenant, je ne peux plus y retourner. La préfecture a gardé ma carte de séjour. Je veux aller voir mes filles qui sont encore là-bas, je ne peux pas… (larmes) » (Mr M., 73 ans).

D’autres vivent un dilemme permanent que symbolisent bien ces allers-retours incessants entre la France et le pays d’origine. « Je ne veux pas rentrer définitivement en Algérie Je préfère faire des allers-retours. Je reste deux ou trois mois, et je reviens. Si je suis malade, je rentre en France, c’est mieux et le docteur me connaît ». Ou encore : « Je suis obligé de faire des allers-retours. Tu veux que je reste ici, dans une chambre tout seul. Là-bas, on a notre famille, nos enfants… Mais ici j’ai ma pension et mon docteur. Au Maroc, je ne supporte plus au bout de trois mois. Pour mes enfants, je suis toujours celui qui donne, donne, donne… Donner quoi ? De l’argent, que de l’argent… Sans l’argent, ils ne pensent pas à moi. Les enfants, ils sont égoïstes ». Un autre partage ce sentiment d’amertume de n’avoir plus sa place parmi les siens. Outre le fait d’être devenu un simple pourvoyeur de revenus de sa famille, il constate avec colère et tristesse que les liens semblent s’être définitivement dé- tissés au fil des années d’éloignement : « Ce sont tous des vautours…Quand ma mère sera morte, je crois que je ne retournerai plus. Ma fille ne m’appelle plus papa ! A son mariage, elle m’a présenté comme « l’absent » et moi qui suis allé avec des cadeaux, des bijoux… et elle ne m’appelle pas papa… Je leur ai dit, aux enfants, que j’allais déchirer le passeport de l’Algérie ».

Un autre évoque clairement la dimension identitaire de cette ambivalence que le temps a creusé vis-à-vis du pays d’origine : « Je suis Algérien, de nationalité algérienne, mais dans mon caractère je suis Français. Je suis né en Algérie, c’était la France, j’ai grandi dans l’Algérie française. Ensuite, à 19 ans, je suis venu en France pour faire l’armée. Ca fait longtemps, j’ai quitté en 1963. Je me sens français, j’ai toujours connu la France. Là-bas, j’ai construit une maison pour ma femme et mes enfants. A chacune de mes visites, je reste avec eux. Je ne sors pas avec des amis là-bas, c’est trop dur… faut que je revienne en France, ici c’est la paix. Quand je pars, je paye ma chambre d’avance pour qu’il me la garde ».

Le va et vient permet de maintenir un lien régulier mais finit par exclure la notion de retour qui pourtant était pleinement compris dans le projet migratoire au départ. Vivre longtemps en France a fait de ces migrants vieillissant des « étrangers » ici et là-bas, des « absents » là-bas, des surnuméraires, ici. Pour beaucoup, ce retour est impossible comme s’il signifiait « faire le chemin inverse » et ils préfèrent donc rester dans cet entre-deux et « sacrifier leur vie », comme ils le disent souvent.

Nous reproduisons ici dans son intégralité, le texte de l’article de  Jeanine Sodigné Loustau

paru dans la revue : Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°44 (octobre-décembre 1996)

 

Conflit interne, la guerre civile espagnole qui éclate en juillet 1936 provoque, dès août 1936, un déplacement de population qui en février 1939 va atteindre une ampleur jamais égalée à l’époque contemporaine, et n’entre pas dans les schémas classiques de l’immigration ou des demandes d’asile. Devant les vagues successives les gouvernements élaborent une poli tique à court terme, allant au gré des circonstances d’une surveillance étroite à la mise au travail, de la liber té d’opter pour un rapatriement au renvoi des « inaptes et inutiles ». De Léon Blum à Paul Reynaud, deux principes régissent la politique : réduire les frais au minimum et assurer l’ordre public. Au fil des mois, la conception du droit d’asile devient de plus en plus étroite. En 1936, aux préoccupations prioritaires du maint ien de l’ordre et de la protection sanitaire des Français, qui prévalent jusque-là dans l’accueil des étran gers, se superpose celle d’assurer un hébergement temporaire loin de la frontière et de réduire au minimum les frais de transport : soit 44 dépar tements entre Loire et Garonne. En 1937, le gouvernement Léon Blum édicte une série de mesures devant régir l’accueil des populations éva cuées de la zone Nord. Toutefois, elles ne sont le reflet que d’une préoccupation à court terme et ne règlent pas les problèmes locaux comme en témoignent les échanges de correspondance entre les préfets des 31 départements dits de «première urgence ». Leurs interrogations quant aux modalités d’hébergement et de financement soulignent l’absence d’une politique d’accueil cohérente ; tout ne devait être que provisoire et il leur faudra gérer un provisoire qui perdurera au-delà de 1937 En 1939, il se prolongera au-delà de la fin de la guerre civile pour ne s’achever qu’en juin 1940 devant l’invasion allemande qui met un terme à l’hébergement dans les centres de civils à la charge de l’État.

Les mouvements vers la région Centre, se déroulent en quatre vagues et correspondent aux phases principales de la guerre : modérés en 1936 et 1938 (1 143 et 444 personnes), ils se caractérisent en 1937 et surtout en 1939, par leur soudaineté, leur ampleur (5 564 et 13 112) et leur composition. Ils ont effectivement comme caractéristique commune d’être dans leur très grande majorité ceux de femmes, d’enfants, de vieillards et d’invalides, démunis de ressources, soit a priori une populat ion apolitique qu’en 1939 on ne souhaite pas garder au-delà de la fin du conflit.

 

Les modalités d’hébergement

Les modalités d’hébergement varient de 1936 à 1939 au sein d’un même département, allant de l’ato- misation à la concentration et vice versa. Les arrivées inopinées de 1936 provoquent peu de problèmes d’ordre organisationnel qui ne puis sent être résolus, même à Orléans où la municipalité attend encore le remboursement d’une créance (avance consentie pour l’héberg ement en 1934 de 235 Espagnols venus chercher refuge après les mouvements révolutionnaires astu- riens et catalans). Cité « taudis » Biray à Châteauroux, écoles, établissements de cure et hospices, héber gent ces premiers venus. Toutefois, déjà se profilent des difficultés si le séjour vient à se prolonger, si d’autres arrivées surviennent. Les problèmes débutent en 1937 avec la crainte de devoir obérer les finances locales, l’absence de locaux publics ou privés habitables, et la très discrète coopération de l’armée et des administrations civiles. Le principe de l’hébergement collectif dans des camps à charge de l’État est écarté, le gouver nement ne voulant pas renouveler l’expérience sarroise. Les conditions de débarquement et d’évacuation des ports de l’Atlantique désorganisent les plans hâtivement dressés par les préfets mis ainsi dans l’obligation de procéder à des regroupements : camps de remonte, camp militaire désaffecté, ancienne prison, abritent les civils en Eure-et-Loir, Indre et Loir- et-Cher, tandis que 60 communes du Cher et 41 du Loiret doivent faire appel à leurs maigres ressources locales : hospices, maisons inhabi tées, logements vacants d’instituteurs. En 1938, les anciens haras de Châteaufer, aux aménagements «rudimentales », puis l’abbaye de Noirlac, regroupent les 162 réfugiés du Cher, tandis que l’ex-caseme Jardon d’Issoudun reçoit dans l’Indre les 383 nouveaux venus.

Les problèmes propres à l’accueil immédiat, à l’hébergement, à la sur veillance sanitaire, sont multipliés en 1939 où plus de 13 000 personnes arrivent entre le 29 janvier et le 8 février. Malgré, depuis 1936, les avertissements des diplomates, rien n’est prévu pour accueillir des réfugiés. Les pouvoirs publics ne s’écartent pas des priorités affichées jusque-là, à savoir, surveiller, inciter au rapatri ement ou à la réémigration. La méconnaissance des flux tant sur le plan numérique que sur le plan sani taire, ainsi que leur cadence, pèsent dans le processus d’accueil. Sans déroger aux instructions ministér ielles — élaborées dans (mais aussi à cause de) un climat d’hostilité à l’ allogène et de tensions internatio nales — , les procédures d’accueil vont être appliquées avec plus ou moins de rigueur. En l’absence d’un organisme politique de coordination, l’arrivée massive, par des températures inclémentes, de femmes, d’enfants et de vieillards physiquement affaiblis et de ce fait réceptifs à la maladie, démunis de ressources, posent de graves problèmes. Prévenus à la dernière extrémité, préfets et municipalités, avec le secours des populations parent au plus pressé : abriter autant que faire se peut du froid et de l’humidité, soigner et nourrir sans s’écarter des instructions données et réitérées par leur ministre de tutelle et plus tard ivement par son homologue de la Santé, et sans s’écarter des limites fixées par un budget parcimonieusement calculé.

La surveillance sanitaire, régie par la Convention sanitaire internationale du 21 juin 1926, vise à empêcher la propagation d’une épidé mie ainsi qu’à lutter contre les maladies dites pestilent ielles (dont le typhus exan-thématique), les maladies graves transmissibles (variole). 5. La France des années 30 ne possédait pas un service de santé civil analogue au service de santé militaire.

Les préfets favorables au regroupement, dépassés par le nombre, doivent faire appel aux communes et utiliser les centres de vacances.

– Dans le Cher, où sont encore hébergés depuis 1938 20 femmes, 32 enfants et 3 vieillards, 3 002 personnes dont 1 318 femmes et 1 515 enfants sont répartis dans 7 centres.

– Dans le Loir- et-Cher, les 3 133 évacués, dont 1 410 femmes et 1 474 enfants, sont dirigés sur 47 villages, 3 centres de vacances et les anciens haras de Selles-sur- Cher.

– Dans le Loiret, les structures d’accueil d’Orléans ne suffisent pas au regroupement des 2 838 réfugiés dont 1 149 enfants, qui doivent être en partie disséminés dans 46 communes.

– Dans l’Eure-et-Loir, le camp de Lucé et l’ancienne prison de Châteaudun insuffisants pour les 2 098 évacués, dont 918 femmes, 1 076 enfants, on ouvre 53 centres ruraux.

En revanche, dans l’Indre, les 2 041 nouveaux arrivants sont regroupés à Châteauroux, au Blanc et à Issoudun. Plus tard quatre autres centres seront ouverts.

Tout n’est pas parfait sur le plan matériel, loin s’en faut. Vétusté, indigence des infrastructures sont presque partout de règle, excepté dans les centres de vacances mis provisoirement à la disposition des préfets par les organisations syndicales. À côté des maisons inhabitées « insalubres », on trouve des granges mal aérées, des halles, des prisons désaffectées, d’anciens moulins. Partout pièces à usage de dortoir, de même que points d’eau et d’évacuation, sont aménagés à la hâte. Le pire côtoie le meilleur et les centres jugés en 1937 impropres à l’hébergement sont rouverts. Mais villes et villages ne doivent compter que sur leurs ressources propres. Les préfets et les maires ne peuvent pas être tenus pour responsables de la précarité des installations.

L’étude sur les ressources départementales faite en 1938 pour une répartition éventuelle de réfugiés en cas de repliement et d’évacuation de populations françaises, avait conclu à l’impossibilité de trouver dans les communes du Loiret et de l’Eure-et-Loir, des locaux appropriés.

 

La vie dans les centres

Après le logement, l’alimentation fut une des préoccupations des préfets. Les habitudes alimentaires s’a ccommodent mal des cuisines locales et des menus peu attrayants et répétitifs, avec leurs féculents et les viandes dites de deuxième ou de troisième catégorie. Toutefois, étaient-ils différents de ceux servis dans les collectivités communales d’assistance soumises également à des impératifs budgétaires ?

Terminée la quarantaine sanitaire, la surveillance continue. Les sorties sont soumises à des demandes d’autorisations assorties de tant d’interdictions qu’elles sont rarement sollicitées. Les visites sont interdites. La correspondance avec les familles est réglementée et fonction des dons en papier, enveloppes, timbres, et son acheminement aléatoire ; les préfets ne sont pas autorisés à centraliser la correspondance entre étrangers. Quelques centres procurent aux femmes des travaux d’aiguille, mais dans l’ensemble les femmes sont condamnées à l’inactivité. Comme l’hébergement, l’organisation sanitaire doit être improvisée.

 

 L’organisation sanitaire

À l’arrivée, les problèmes à résoudre du point de vue sanitaire sont de deux ordres : assurer les soins aux malades et aux blessés ainsi que leur hospitalisation le cas échéant, et protéger contre la propa gation de maladies infectieuses causes de mortalité parmi les groupes dits « à risque », à savoir les jeunes enfants et la population âgée. De 1937 à 1938, étant entendu que le séjour ne doit être que provisoire, l’instruction de mai 1937 ne prescrit aucune mesure autre que celles appliquées aux frontières pour éviter toute propagation de maladie conta gieuse. Or en 1937, beaucoup d’en fants sont atteints de rougeole et font encourir un risque d’épidémie.

 

Une population à risque en 1939

En janvier et février 1939, tous les facteurs sont réunis pour favoriser la morbidité : conditions de vie et pr ivations avant l’exode, exode et éva cuation, précarité des structures d’ac cueil, ainsi que promiscuité et surpopulation dans les centres. La spécificité de l’exode nécessite une prise en charge par le ministère de la Santé publique. Mais toutes les instructions s’inscrivent dans le droit fil des dispositions générales contre la propagation des maladies transmissibles, et rappellent les mesures prophylactiques à prendre pour pallier un risque épidémique. En l’absence d’une organisation sanitaire bien structurée, d’une coordination entre les ministères de l’Intérieur, de la Santé et de la Défense nationale — l’armée seule disposant à l’époque de matériel adapté à la réception d’un aussi grand nombre de malades et de blessés — , préfets, médecins et personnel paramédical, avec les moyens locaux, font très rapidement face à la situation. Médecine préventive, curative, mesures d’isolement alors que peu d’hôpitaux locaux possèdent des structures permettant d’accueillir des contagieux, rien n’est laissé au hasard. Les mesures préventives visant à protéger tant les autoch tones que les réfugiés sont respectées.

 

Les structures d’hospitalisation

Le recensement des lits disponibles dans les structures d’hospitalisation, médicales ou médicalisées, ainsi que services de chirurgie, effectué en 1938, avait montré que la région Centre ne pouvait recevoir qu’un nombre limité de malades et de blessés.

Dans le Cher, les hospices civils et encore moins l’autorité militaire ne peuvent prêter au préfet les 150 lits nécessaires aux hôpitaux auxiliaires et aux services de contagieux qui doivent être mis en place rapide ment. Des infirmeries sont organisées dans les centres pour traiter les blessés légers ainsi que les affections cutanées diverses. Des hôpitaux auxil iaires sont aménagés pour prévenir la propagation d’épidémies. Il en est ainsi à Noirlac où 70 malades y sont isolés au même moment lors d’une épidémie d’oreillons. Au centre de Châteaufer un hôpital auxiliaire est créé de toute pièce dans un bât iment isolé des haras. Du 20 février au 19 avril, 40 lits y sont occupés en permanence. Au centre de La Brosse 50 malades atteints en même temps de rougeole sont isolés dans deux salles du centre. L’hôpital de Chartres, proche du centre de Lucé ne peut accueillir en février que 5 femmes et 5 enfants et celui de Châteaudun, complet, doit « monter » 15 lits supplémentaires pour les Espagnols. En raison de l’insuffisance de lits à l’hôpital d’Issoudun, les malades « en attente » sont rassemblés dans un gymnase. Le 6 février, les hôpitaux d’Orléans et de Beaugency n’ont plus de lits disponibles et « plusieurs infirmeries de campagne » sont mises en place. Un hôpital auxiliaire de 60 lits est ouvert à l’ancienne gare de tramways de Saint-Marceau. Les mesures antiparasitaires Conformément aux instructions, toutes les « dermatoses » — terme générique dont on ne sait ce qu’il représentait dans le système de pen sée des ministres — devaient être immédiatement traitées. Pour les nombreux cas de gale, avec lésions de grattage infectées, le traitement en milieu hospitalier s’imposait. Le traitement préventif du typhus exanthématique, longtemps fléau redouté propagé par le pou, nécessit ait un épouillage, ainsi que le passa ge en étuve des vêtements et paillasses.

Les conditions de l’exode rendent difficile en 1939 l’application de cette opération. Les préfets ne peuvent se conformer aux instructions dans les délais prévus. L’armée, avare de son matériel au nom de la défense nationale, ne peut porter le concours promis et espéré. Cette désinfection ne suffit pas à enrayer la diffusion des poux favori sée par la promiscuité et les lits de paille. État de fait qui semble méconnu dans les cabinets ministériels où sont élaborées les circulaires. Comment, en effet, passer en étuve plus de 13 000 paillasses ? Un cordon sanitaire est instauré autour des centres ruraux. Préfets, sous-préfets, maires, veillent à l’observation des mesures d’isolement. La gendarmerie est omniprésente. L’étalement dans le temps des rougeoles, oreillons et coqueluches impose le renforcement de l’isolement et sous-entend de n’effectuer aucun transfert de centre à centre, sous peine de provoquer une nouv elle épidémie.

 

Les vaccinations

Une loi de 1938, tendait à rendre obligatoire au cours de la deuxième ou troisième année la vaccination antidiphtérique. Les enfants âgés de dix-huit mois à seize ans doivent y être soumis systématiquement en 1939 et recevoir, ainsi que des adultes, le vaccin antivariolique. Mais ces vaccinations ne peuvent être pratiquées partout en série. Oreillons, varicelle, coqueluche, rou geole, lésions de grattage ainsi que les affections des voies respiratoires retardent les opérations.

 

Un péril vénérien ?

Syphilis et maladies vénériennes sont traditionnellement les maladies que l’on impute à l’autre, et les Espagnols furent ainsi suspectés de les avoir importées. Une circulaire du ministre de la Santé fait état de la présence « en assez grand nombre » de personnes atteintes de maladies vénériennes « en particulier de blennorragie », et celle d’un certain nombre de prosti tuées, et préconise un contrôle. Dans le Cher, ce contrôle, coercitif, est rejeté comme inutile car tardif, et incompatible avec la dignité humaine. Dans l’Eure-et-Loir on a moins de scrupules ; si l’on ne pratique pas « des examens systématiques des organes génitaux en vue de rechercher les syphilis», les « femmes signalées comme étant susceptibles, par leur conduite, de contracter ou de transmettre des maladies riennes » subissent un examen gyné cologique.

 

La prise en charge financière de la thérapeutique

Toute surveillance médicale a un coût, et les allocations de subsistance ne couvrent que les dépenses d’hébergement. De 1936 à 1938, médecins et autorités préfectorales ne savent à quelle catégorie appar tiennent les réfugiés. Pour ces populations que l’on ne souhaite pas garder sur le sol national, la prise en charge d’éventuelles dépenses de santé n’est stipulée dans aucune ins truction. Les malades doivent-ils alors être pris en charge par les départe ments sur leur budget d’assistance ? Les produits pharmaceutiques presc rits ne doivent-ils être compris que dans la nomenclature du service de l’Assistance médicale gratuite (AMG) départementale ? Sur quels crédits devront être réglés les frais de trans port et d’hospitalisation ? Le traité franco-espagnol d’assistance réciproque doit-il jouer ? Autant de questions que se posèrent les administrateurs départementaux qui ne pouvaient se référer aux instructions ministérielles muettes sur la question. Beaucoup de malades, en 1937 et 1938, sont pris intégralement en charge par l’AMG du département

En 1939, lorsqu’arrivent les premiers civils, les préfets n’ont reçu aucune instruction. Les budgets d’AMC des départements ne peuvent consentir d’avance. Des fonds spéciaux doivent être mis à la disposition du ministre de la Santé, mais le 20 février seuls les miliciens blessés sont l’objet des préoccupations du ministère. Ces considérations budgétaires ne sont cependant pas un frein aux soins, aux hospitalisations, ni à la mise en route de vaccinations non inscrites sur la nomenclature des remboursements.

 

Les enfants

Au sanglant affrontement entre les deux Espagnes revient le triste privilège d’avoir provoqué la première grande migration d’enfants, rassemblés en colonies organisées par les partis politiques, évacués seuls ou avec un membre de leur famille. L’enfant qu’il ait été nouveau-né ou adolescent, orphelin ou abandonné, n’a pas été l’objet de beaucoup d’attentions de la part des pouvoirs publics.

Dans leurs appels à la charité publique les préfets ne sollicitent que des dons à but alimentaire ou vestimentaire. En dehors de quelques initiatives locales, de jouets recueillis par des organisations de gauche, et des loisirs offerts par les « coins blancs », créés sous l’égide de l’Office international pour l’enfance, les enfants sont livrés à eux-mêmes.

En 1937 des tentatives, non de scolarisation, mais d’initiation au français, sont ébauchées dans quelques centres du Cher et du Loir-et-Cher. Pourtant, dans un but d’assimilation il est vrai, une loi du 9 août 1936 impose la scolarisation aux enfants étrangers ; la scolarité des enfants espagnols, dont le séjour ne doit être que temporaire, n’est donc pas au centre des préoccupations. En mai 1939, le souhait contrarié de rapatriements massifs, ainsi que le projet de mise au travail des adultes et adolescents, font se poser le problème, mais il ne va pas au-delà de l’enseignement des « rudiments de notre langue ». Il faut attendre août 1939 pour que soit envisagée, au niveau du seul ministère de l’Intérieur, l’admission des enfants dans les « écoles pr imaires publiques », où néanmoins la priorité devra être donnée aux Français.

À cette subordination aux effectifs s’ajoute « que soient strictement observées les conditions réglementaires d’hygiène », et que ces intégrations ne soient en aucun cas sujet de troubles dans les villages. Un des collaborateurs de J. Zay n’hésite pas à stipuler qu’il conviendrait de refuser l’accès des écoles à « tout enfant de nationalité espagnole quel qu’il soit » (sic), si survenaient des réactions hostiles de la part des familles françaises pouvant aller jusqu’à la grève scolaire. Or, seul un risque épidémique pouvait faire adopter des mesures d’éviction.

L’éviction scolaire et la priorité donnée aux Français sont autant de mesures discriminatoires à l’égard des petits Espagnols auxquels la loi du 9 août 1936 reconnaissait les même droits qu’aux autres étrangers et qu’aux Français. Toutefois, les préfets redoutaient les conséquences des décrets d’application de la loi française sur la prolongation de la scolarité parus le 17 février 1939. De nombreuses municipalités allaient manquer de locaux et l’admission des enfants réfugiés allait accroître les difficultés. Quant à une éventuelle admission des adolescents dans les établiss ements professionnels ou supérieurs, elle n’est évoquée dans aucun docu ment. Il est vrai que lorsque le gouvernement s’intéresse au potentiel de main-d’œuvre des centres, la population âgée de plus de quatorze ans n’est destinée qu’à exercer des travaux peu qualifiants dans l’agricul ture ou l’industrie. C’est ainsi qu’en 1940 sera envisagé de donner à des orphelins une formation profession nelle agricole et de former des « vachers sachant traire quatre à cinq vaches ».

Aucun document ne mentionne l’admission des enfants dans les écoles des départements à la rentrée d’octobre 1939. L’état de guerre fait prévaloir d’autres priorités. Les heures d’enseignement impart ies dans les centres par des bénév oles, de même que celles passées à effectuer des « corvées », n’occupent les enfants qu’une partie de la journée et ne suffisent pas à satisfaire un besoin d’activité. Les énergies mal canalisées ne peuvent que déborder du périmètre des centres. Au cours de leurs escapades hors des centres, les jeunes Espagnols ont des jeux malencontreux ou du moins leur attribue-t-on toutes les « déprédations » commises alentour. Des adolescents sont déférés au parquet. Des peines d’emprisonnement sont requises pour quelques garçons âgés de trei ze à seize ans accusés de bris de vitres, de jets de détritus dans un puits ainsi que d’arrachage de goutt ières et de clôtures. Pour la destruction de nombreux isolateurs, un receveur des postes porte plainte « au nom de [son] administration », ainsi que le chef d’exploitation au nom de l’Union électrique.

 

Orphelins et enfants abandonnés

L’instruction de mai 1937, sans méconnaître les enfants évacués sous la responsabilité du gouvernement basque et placés sous la protection de la représentation diplomatique de leur pays, ne s’attache qu’aux modalités de leur rapatriement. En 1937, dans le Cher, seul département pour lequel nous possédons des renseignements, 11,62 % des enfants sont orphelins, et ils sont placés chez des particuliers, femmes veuves en général. Il n’en est pas de même en 1939 ; dans tous les départements ils sont dans les centres, laissés aux bons soins de leurs compatriotes adultes. On veille dans le Loir-et-Cher à ne pas les rapatrier sans examen préalable de sa situation.

En fût-il de même ailleurs ? Le 10 août 1939, une instruction ministérielle, stipulant qu’aucun « enfant orphelin ou dont les parents ont disparu » ne sera rapatrié ou envoyé à l’étranger « jusqu’à nouvel ordre », laisse toute latitude d’adapter la politique en fonction des circonstances. Le 7 février 1940, ils figurent dans la catégorie des réfugiés devant rentrer. Toutefois, la décision est laissée à l’appréciation des préfets qui peuvent les confier à l’Assistance publique. Quant aux regroupements familiaux, l’exiguïté des locaux, ainsi que l’obligation de reloger des réfugiés après la fermeture de centres d’autres départements, ne permettent pas de satisfaire toutes les demandes, y compris celles de mères avec leurs jeunes enfants, et la circulaire du 5 mai 1939, ne l’évoque qu’en tant qu’opération préalable au départ.

 

L’accueil non étatique

 Les populations

L’imbrication entre aide humanitaire et combat politique, évident en 1937 et 1938, moins marquée en 1939, ne doit pas masquer les gestes de charité venant de secteurs de l’opinion façonnés par une certaine presse. Malgré le climat entretenu par la presse conservatrice, à la fois contre la République espagnole et à l’encontre des réfugiés, les bonnes volontés ne manquèrent pas pour aider dans l’accueil et l’héberge ment, palliant ainsi les carences des pouvoirs publics. Préfets, groupements politiques de gauche et syndicats, et dans une moindre mesure l’épiscopat, jouèrent sur les ressorts de l’émotion. Des réseaux de solidarité se mirent en place et les options politiques s’effacèrent devant le dénuement des réfugiés. Tout au plus la mise en œuvre de l’hébergement donna-t-elle le prétexte à quelques échanges verbaux peu amicaux entre fractions politiques opposées. Des comités d’accueil se formèrent dans tous les départements.

Il y eut néanmoins des accueils sans chaleur; la massivité de l’exode ne fit pas prendre conscience à tous du drame espagnol, et ceux-là même qui auraient dû se porter au secours des plus démunis le firent timidement.

 

Les organisations politiques

La solidarité du PCF et des jeu nesses communistes vis-à-vis des combattants accapare toute l’attention au détriment des civils.Néanmoins ils coordonnent en 1937 des actions de soutien en faveur des enfants, bien que l’adhésion des Basques au camp républicain dérange. En 1939, tous participent aux actions de solidarité des comités départementaux ou locaux. On se méfie néanmoins de leurs initiatives et on s’oppose à « l’adoption » d’enfants par des familles « communistes notoires » ou « convaincues ». Le reste de la gauche est plus discret.

Les radicaux, au pouvoir, parti sans de mesures de prévention, ne se manifestent pas plus que les radicaux-socialistes et les socialistes. Les interventions des députés R. Chasseigne et R. Mauger, ainsi que celles de M. Viollette et de J. Zay, ne sont que des interventions ponctuelles, voire sélectives, et certaines de leurs prises de position publiques sont en contradiction avec celles prises au sein d’assemblées régio nales.

Quant à la Ligue des droits de l’homme, si la section d’Orléans adresse en 1937 au cours d’une séance un appel à tous les ligueurs en faveur des fillettes recueillies par la Bourse du travail, c’est la seule fois où, les réfugiés sont l’objet d’une attention particulière. Dans l’Indre en 1937 et 1939, ainsi que dans le Loiret en 1939, on note les manifestations de soutien du Parti social français (PSF) à droite de l’éch iquier politique. Les syndicats Dès 1936, les syndicats sont tés pour participer aux actions de solidarité organisées par la commission administrative de la CGT. La plus notable émane de l’UD du Loiret qui prend entièrement à sa charge l’entretien et la surveillance de 12 enfants qui lui sont confiés par le Comité d’accueil aux enfants d’Espagne. Les sections du Syndicat national des instituteurs (SNI) s’associent en 1939 aux mouvements de solidarité. Toutefois, elles ne gèrent qu’une partie des dons recueillis par l’Œuvre du Trousseau des enfants réfugiés espagnols créé par la direction nationale, qui centralise, ainsi que la CGT, le produit des collectes.

Pour ce qui concerne la scolarité des enfants, aucune section ne souleva le problème, et seuls quelques enseignants bénévoles du Cher tentèrent d’im partir quelques cours aux enfants, et la section d’Eure-et-Loir ignora l’exclusion des petits Espagnols de l’école de Janville.

 

Les chrétiens

En 1936, l’épiscopat lance des appels ; ils sont timides, et géographiquement limités au Loiret. En 1937, ils sont aussi discrets et très sélectifs puisque dirigés essentiellement vers les enfants basques supposés en danger dans les colonies du Front populaire espagnol. De l’attitude de l’épiscopat et du clergé dépendait celle de la communauté catholique façonnée par des campagnes de presse hostiles aux « sans Dieu » et propres à tempérer les élans de charité. Toutefois, si la prise de conscience au sein de la communauté catholique ne fut pas immédiate, on ne note en revanche aucune mobilisation de la communauté protestante.

 

L’aide extérieure

Les organisations caritatives françaises, créées sous le patronage de personnalités prestigieuses, furent nombreuses. Cependant, les seuls organismes à répondre aussi bien aux appels des gestionnaires de centres qu’à ceux des réfugiées elle-mêmes, furent la Commission d’aide aux enfants espagnols réfugiés en France ainsi que la Commission inte rnationale d’aide aux enfants réfugiés. Sans cette aide considérable l’admi nistration préfectorale n’aurait pu faire face aux besoins.

 

Le séjour se prolonge

La guerre civile terminée, les populations locales comprennent difficilement que l’on continue à entretenir ces réfugiés qui de surcroît occupent souvent des locaux à usage agricole. En avril 1939, en raison du plan d’évacuation des populations du Nord et de l’Est, les préfets sont invités à prévoir un hébergement collectif pour les Espagnols refusant de rentrer.

Les centres ruraux sont peu à peu supprimés et les regroupements se font à Châteaufer (Cher), Lucé- Chartres, La Verrerie (Orléans), et Bois-Brûlé (Loir-et-Cher) : centres inconfortables, impropres à unhébergement collectif et de longue durée, ainsi qu’au regroupement familial. Au 18 août, moins de 40 % sont repartis. En septembre, le gouvernement estime que les raisons qui firent accueillir ces civils, pour lesquels il n’a obtenu aucune compensation financière de Madrid, perdent de leur valeur et son argumentation met en parallèle les risques de représailles encourus en Espagne et ceux découlant d’éventuels bombardements par l’aviation ennemie. En tout cas, on ne reconnaît pas aux Espagnols les mêmes droits élément aires qu’aux Français ; leur logement « ne doit être meilleur que celui assigné à nos compatriotes réfugiés ».

Les préfets doivent s’employer dès lors à persuader de rentrer les civils « recueillis par humanité, non susceptibles d’apporter à l’économie le concours d’un travail utile ». Si l’on se réfère aux documents officiels, les retours, comme le souligne E. Témime, « à défaut d’être spontanés furent tous volontaires ».

Fut-on plus « persuasif » dans certains départements ? Rien ne permet de les interpréter comme la résultante de pressions directes.

En tout cas, en décembre on note la présence de 912 personnes (407 femmes et 478 enfants) à Châteaufer, 665 à Bois- Brûlé (293 femmes et 343 enfants), et 922 (401 femmes et 463 enfants) réparties entre Dreux et Luçé.

La fermeture des centres est fixée au 10 mars 1940. Tous les réfugiés « aptes au travail » doivent avoir trouvé un emploi. La France en guerre a besoin de bras et le ministre de l’Agriculture demande l’ajournement de « toute évacuation forcée ». Devant les difficultés rencontrées par les femmes chargées de famille, et parce que la modicité des salaires ne permet pas de trouver un logement et d’assumer les frais d’une première installation, la mesure est ajournée au 1er juin. Dans le Cher, 300 femmes restent à placer, et à Bois-Brûlé on aimerait que les 200 mères acceptent que leurs enfants, « entrave à la recherche d’un emploi », soient confiés à la Commission internationale d’aide aux enfants réfugiés.

En juin 1940, tout bascule. Un nouvel exode commence : des femmes et des enfants, qui n’avaient pu rejoindre un mari, un père, un fils, prestataires dans d’autres départe ments, sont évacués et jetés sur les routes avec les autochtones. Certains se retrouvent au camp dit de « regroupement » de Rivesaltes. Femmes et enfants de Lucé sont évacués sur le camp d’Argelès, tandis que d’autres se retrouvent dans la Sarthe ou à Chatellerault d’où, ne sachant où aller, ils reviendront quelques semaines plus tard, ou dans le centre d’accueil de Douadic (Indre) où pour les étrangers est constituée une section spéciale sur veillée par la police.

Les mouvements qui de 1936 à 1939 renouvelèrent le corps préfectoral ne s’accompagnèrent pas de changements notables dans l’application des instructions. En revanche l’écart fut souvent important dans les prises de position d’hommes politiques « de gauche » toujours prêts à défendre la cause de l’Espagne républicaine.

Confrontés aux difficultés locales en matière de logements et d’emplois, des élus réclamèrent le rapatriement de ces populations. Les délégations de pouvoir aux sous-préfets, aux maires, ainsi qu’à des fonctionnaires préfectoraux ou à des réfugiés rendus responsables de la tenue des centres, instaurèrent des rapports de force préjudiciables aux civils condamnés par décision minist érielle à vivre dans une promiscuité pesante et génératrice de conflits.

Si, de la part des populations, il y eut rejet, exaspération, il nous faut en voir les causes dans la politique gouvernementale maintenant ces civils dans la dépendance, et qui fut source de tracasseries administratives, de complications et de surcroît de travail pour les élus des communes rurales. Néanmoins, la nécessité de faire respecter la discipline que requiert une concentration de population, le risque épidémique, ne justifient pas les atteintes à la liberté que furent l’enfermement, la censure du courrier, la rigide réglementation des échanges de correspondance et la censure de la presse, ainsi que les menaces d’expulsion en cas de révolte et la comparution d’adolescents devant des tribunaux pour des méfaits anodins.