10 octobre 2010, Chalette-sur-Loing, Loiret, France.

Enregistrement audio d’Eugène Moskura, recueilli par Véronique Dassié, ethnologue.

Là-haut, les rouges, ils avaient pris le pouvoir, donc eux (les émigrants), ils s’en sont sortis et ici, ils ont essayé de recréer ici la même chose que ce qu’il y avait en Ukraine. C’était une grande communauté ici, y’avait les Russes blanc, c’est les premiers qui sont arrivés ici. A la révolution, en Ukraine, les églises ont été transformées en grenier, ils ont démonté les toitures, c’était couvert de petites feuilles d’or, ils ont tout pris. (…) Staline, il a affamé les gens, il les a déplacés, c’est comme ça que ma mère elle est partie (…) Ma mère, elle me disait, ils avaient tellement faim…. Ils avaient tellement faim…. les nouveaux né…. ils les mangeaient… La famine était telle qu’ils étaient devenus anthropophages… Ma mère était de 1910, elle a dû partir après les purges à Staline. Après avoir été déplacés, les gens ne savaient pas où ils allaient, je pense qu’ils ont été du côté de la Pologne, elle avait 18 ou 19 ans, toute seule. Mais il fallait qu’ils partent, ils n’avaient plus rien, donc elle est partie dans les fermes…je ne sais pas par où elle est passée mais je n’ai pas de traces d’elle en Allemagne, elle serait partie en France, elle s’est retrouvé dans des fermes…

Dans le Montargois, la communauté ukrainienne a préservé ses traditions religieuses.

Église Sainte-Olga, 2010, Corquilleroy© Photo : Véronique Dassié.
Église Saint-André, Chalette-sur-Loing, 2018. © Photo : Véronique Dassié.
Église Saint-André, intérieur, mars 2022. © Véronique Dassié.
Installation des préparatifs pour les fêtes de Pâques, église Saint-André, Chalette-sur-Loing, 2010. © Sylvie Orlyk.

10 octobre 2010, Chalette-sur-Loing, Loiret, France.

Enregistrement audio de Marie Mokine, recueilli par Véronique Dassié, ethnologue.

Moi, j’ai 83 ans, alors j’ai vu des choses que les autres n’ont pas vues. Mon père était Russe blanc et tous les ans, on allait rue Lavoisier, chez Mme Zamcha, c’était une Ukrainienne. Il y avait que des Polonais, des Ukrainiens, des Slovaques et on venait tous les ans, à pied, de Montargis, pour le Noël orthodoxe, et après ils faisaient un spectacle. Alors il y avait les cosaques du Don, russes, et les cosaques du Kouban, ukrainiens. Il y avait de vrais chanteurs et beaucoup de Mongols aussi ! Alors comme moi ma mère était galicienne et mon père russe, alors moi, j’étais entre deux chaises. La Galicie, c’est une province de l’Ukraine à côté de la Pologne et ma mère. Son père n’a jamais voulu l’envoyer à l’école parce qu’à ce moment-là, c’était occupé par les Polonais et ils ne parlaient que polonais à l’école. Alors ma mère, elle était illettrée à cause de ça. Ma mère, elle est venue en France avec un contrat agricole en 1925, elle est repartie en 1926 et revenue en 1928 ; elle croyait rester là-bas mais c’était déjà la famine, elle s’est douté qu’il se tramait quelque chose de pas normal parce qu’on leur prenait tout le blé alors c’est comme ça que j’ai atterri à Courtenay. Mais je suis née là-haut moi, dans un village à côté de Lviv ! Voilà, voilà. Je suis née en 1927 et je suis arrivée en France en 1928, j’avais 18 mois.

Octobre 2014, commémoration Holodomor (la grande famine), Chalette sur -Loing © V Dassié

En 29, votre mère est venue à Courtenay ?

Ben c’est-à-dire en fait, elle était déjà à Courtenay avant mais il faudrait que je vous raconte ma vie puis c’est pas… Bon parce qu’en fait, elle avait été violée par le fils du patron, donc mon père (…). Le grand-père regrettait beaucoup ma mère et mon père, qui avait violé ma mère, quand ma mère est revenue, il s’est suicidé ! Bon alors ma mère quand elle est retournée en Ukraine, elle s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas y rester. Et son patron en France lui avait dit, si tu veux revenir en France, tu n’auras qu’à aller à l’ambassade et il lui avait donné une lettre, il lui payait le voyage, et c’est comme ça qu’elle est revenue en France, jusqu’à Saint Pierre des Corps, en train. Mais elle ne voulait plus travailler dans la ferme. (….) Le grand père a tout fait pour l’aider à faire changer son contrat d’ouvrière agricole en ouvrier d’usine. Ensuite, ma mère, elle est partie à Vésines, et alors elle m’a amenée chez la tante, la sœur de ma grand-mère parce qu’il fallait qu’elle travaille. Moi je me rappelle, je n’avais que deux ans et je me rappelle que j’étais sur un perron, j’attendais. Alors, quand ma mère a trouvé un logement à la Sirène, elle est revenue me kidnapper, elle m’a volée. (…) Elle a eu peur qu’il me garde. (…) Elle a revu le grand-père bien après. Le grand père pendant la guerre de 40, le grand père, il était tout seul ; alors avec ma mère, tous les jeudis, on allait à vélo à Courtenay et elle allait s’occuper de mon grand-père et il me faisait de ces repas ! Pendant la guerre, c’était un paysan, il avait tout. Et à l’usine, c’est là qu’elle a rencontré mon père, Mokine, qui était capitaine des cosaques Drosdovsky (dont la tombe est au cimetière de Chalette). Donc mon père, c’est Mokine, moi, il m’a élevée. Alors après, mon père il m’a adoptée, il m’a donné son nom, moi, je suis Mokine mais je connais le nom de mon père [biologique] et comme mon père avait été à l’école des cadets à Odessa, – il y avait toute une colonie russe à Odessa- il aimait les ballets et tout ça, mais ma mère c’était une paysanne, elle n’était pas à l’aise. Ma mère elle est morte en 1987. Moi je m’étais inventée une grand-mère, les autres enfants allaient tous en vacances, y’avait que moi qui restais ici alors je m’étais inventé une grand-mère, c’était pas vrai mais je voulais être comme tout le monde !