Par Pôleth Wadbled – 27 05 2011
(Cet article est extrait de « Histoire et mémoires des immigrations en Région Centre », rapport coordonné par Sylvie Aprile, Pierre Billion, Hélène Bertheleu. Acsé, Odris, Université François Rabelais, mai 2008)

La faiblesse numérique du phénomène migratoire au XIXème siècle ne doit pas en limiter l’analyse ici plus qualitative que quantitative. Un certain nombre de situations qui se retrouvent au XXe siècle prennent ici naissance.

Les étrangers venus en Touraine s’inscrivent dans des migrations souvent brèves, non définitives, par étape. Ils sont constitués par des rentiers et des oisifs ainsi que des métiers de services dans lesquels les migrants surtout allemands et anglais sont réputés : chauffeurs et surtout nurses et gouvernantes. Ceci entraîne une féminisation qui ne traduit pas un enracinement par la famille, ce sont des femmes jeunes et célibataires.

Ces premiers résultats revoient aux quelques analyses qui ont été menées surtout sur des grandes villes, Paris et Bordeaux. Dans ces deux cas ce sont des domestiques allemandes qui constituent l’échantillon étudié.

Les sondages réalisés dans les sources des archives départementales d’Indre-et-Loire semblent témoigner plutôt d’une présence britannique et d’un fort turn-over, indication d’un va-et-vient et d’une forte mobilité de ces migrantes souvent très jeunes. La disparition subite de certaines d’entre elles témoigne certainement de situations précaires et difficiles. Les témoignages des élites sont aussi une source : Marie de Flavigny a raconté dans ses souvenirs d’enfance les lectures de Grimm faites avec sa nurse allemande.

Ceci ne doit pas faire oublier l’existence de courants migratoires venus des autres pays voisins comme la Belgique et formant une main-d’œuvre industrielle et rurale masculine dispersée encore moins visible si ce n’est dans le cadre de l’analyse des recensements villageois (dans les cinq départements) et dans une perspective d’analyse micro-historique et multiscalaire.

Par Pôleth Wadbled – 15 10 2013
Pendant la « guerre froide », cette période de tensions entre les pays des blocs de l’Ouest (Etats-Unis, Europe occidentale) et de l’Est (URSS et pays communistes) sous l’égide de l’OTAN, les Etats-Unis implantent des bases militaires dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest, dont la France. Entre 1950 et 1967, plus de 60 000 soldats et leurs familles stationnent ne permanence en France.
Quatre bases américaines sont implantées en région Centre: à Dreux, dans l’agglomération d’Orléans, dans la forêt de Chinon et surtout à Châteauroux-Déols avec la plus importante base aérienne américaine du territoire français.

La présence américaine bouleverse la vie économique et sociale locale. Les bases entraînent un afflux de population: des militaires (entre 5000 et 8000 à Châteauroux, environ 1500 à Chinon) et leurs familles mais également des civils français, 8000 hommes et femmes de la région employés dans les différents services de la base, attirés par les salaires très élevés que leur proposent l’armée américaine. Une situation qui portera préjudice aux entreprises locales moins généreuses dans certains cas comme à Chateauroux où le manque de main d’oeuvre entraîne une stagnation de l’activité industrielle locale et même des fermetures.
Pour loger ces nouveaux habitants, il faut construire des logements. Des cités entières sont ainsi créées autour des bases : près de 800 logements pour les Cités de Brassioux et Touvent à Chateauroux, 300 à la cité du Maréchal Foch à Olivet, et les villages de Rochambeau et la Durandière près de Chinon. Les constructions sont de style américain: petits immeubles et maisons de plain pied avec vastes espaces verts ouverts et dotés d’un confort alors encore peu courant en France

La base est une véritable enclave où les expatriés retrouvent l’essentiel de l’organisation sociale des Etats-Unis: hôpital, maternité, écoles, journaux et radio internes, supermarché, terrain et équipes de sports, scouts, lieu de culte, clubs de femmes, de jeunes, cinéma, groupes de musique, et même un service de police… Bien qu’à l’écart de la vie française, des relations s’instaurent entre autochtones et Américains. Dès les années cinquante, les Français découvrent l' »american way of life »: les grosses voitures, la musique, les hamburgers, les supermarchés, la modernité d’appareils électroménagers encore peu utilisés à l’époque en France.

En 1966, la décision du Général de Gaulle de mettre fin à la présence militaire américaine et l’amorce de la détente Est-Ouest, entre autres, conduit à la fermeture des bases en 1967 malgré les protestations des Français qui perdent leur travail. Les bases sont rendues à l’armée française ou démantelées et les maisons des officiers sont rachetées par des Français.
Dans la plupart des villes, la présence américaine a laissé des souvenirs et une empreinte durables comme à Châteauroux, dans l’Indre, par exemple, où près d’un habitant sur cinq est américain, la ville a vécu pendant 16 ans à l’heure américaine. L’immense base aérienne, en aspirant la main d’oeuvre locale (plus de 4000 Français y travaillent) a contribué à la stagnation du secteur industriel mais elle a favorisé le développement d’autres secteurs : cafés, salons de coiffure, par exemple. Les relations entre hommes et femmes des deux nationalités ne sont pas rares.
Une conséquence inattendue de cette migration elle-même inattendue: les unions franco-américaines. La mairie de Chateauroux, par exemple, enre 1952 et 1967; célèbre plus de 450 mariages franco-américains, dont les femmes sont en majorité françaises. Mais, autre conséquence, on relève également plusieurs dizaines d’enfants sans père… Beaucoup des jeunes épouses quitteront la région pour suivre leur mari en fin de mission, mais quelques-uns des Américains s’installent, comme ce vétéran de la seconde guerre mondiale, resté en France qui ouvre en centre ville un café restaurant américain toujours présent.

Quelques chiffres : en 1954, dans les départements où sont implantées leurs bases, les Américains constituent la population étrangère la plus nombreuse. En 1962, alors que les effectifs commencent déjà à diminuer, avec 14557 personnes, les Américains représentent près du tiers des étrangers de la région. Soit : 1410 en Eure-et-Loir; 959 en Indre-et-Loire; 72 seulement dans le Cher. Dans l’Indre, où ils sont 4524, ils représentent plus de 58% des étrangers du département. Dans le Loiret, où ils sont le plus nombreux avec 7592 personnes, ils représentent 41% des étrangers.